Le délit de favoritisme dans les marchés publics sans publicité ni concurrence préalables

La procédure sans publicité ni mise en concurrence préalables

L’article 30-I-2° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics - en vigueur du 1er avril 2016 jusqu’au 1er avril 2019 - prévoit que les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants lorsque :

« soit aucune candidature ou aucune offre n'a été déposée dans les délais prescrits, soit seules des candidatures irrecevables au sens du IV de l'article 55 ou des offres inappropriées au sens du I de l'article 59 ont été présentées, pour autant que les conditions initiales du marché public ne soient pas substantiellement modifiées »

Si les marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables sont, le plus souvent, conclus avec le seul opérateur appelé à négocier avec l’acheteur, une négociation peut être menée avec plusieurs opérateurs. Dans cette hypothèse, le pouvoir adjudicateur doit veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée par la participation d’un opérateur économique disposant d’informations susceptibles de l’avantager (Fiche de la DAJ « Les marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables » ).

Dans le cadre d'une telle procédure, le fait de négocier davantage avec un des candidats peut constituer le délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal), notamment lorsqu'une cette société a bénéficié de nombreuses sollicitations de négociation avec le pouvoir adjudicateur en dépit du montant de son devis initial très largement supérieur à l'enveloppe prévue et aux autres devis, et alors que le directeur d'une autre société concurrente n'a pas pu bénéficier de la même opportunité (Cass. crim. 25 nov. 2014, n°13-85.444.).

La passation des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence se déroule selon le schéma suivant.

En réalité, il n’y a pas de règle de forme ou de procédure.

Cependant, le marché négocié devra respecter :

  • les principes fondamentaux issus du droit de l’Union européenne ;
  • les principes généraux du droit de la commande publique (la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement des candidats, la transparence des procédures).

Ainsi, le pouvoir adjudicateur devra être particulièrement vigilant en ce qui concerne :

  • la définition de ses besoins ;
  • les spécifications techniques ;
  • et les documents constitutifs du marché.

Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur respectera les conditions d’accès à la commande publique, telles qu’elles figurent notamment aux articles 1 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, et 4 et 9 du décret du 25 mars 2016.

Le marché doit faire l’objet d’une véritable négociation impliquant nécessairement l’engagement de discussions entre l’acheteur et le ou les candidat(s), dans le but d’obtenir de meilleures conditions de passation du marché.

Le marché devra faire l’objet de la publication d’un avis d’attribution (article 104 du décret du 25 mars 2016).

Le délit de favoritisme

L’article 432-14 du code pénal dispose que :

« Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique […] ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. »

Bien que le délit de favoritisme soit en principe commis par l’autorité publique, les entreprises peuvent être poursuivies sur plusieurs fondements :

  • Complicité de l’infraction commise par la personne responsable du marché (TGI Bonneville, 28 novembre 1997) ;
  • Recel d’octroi d’avantage injustifié dès lors que la société bénéficie du marché passé grâce à la commission du délit d’avantage injustifié (CA Aix-en-Provence, 8 octobre 1998, appel du jugement TGI Nice, 14 juin 1996).

L’avantage, pour être constitué, ne requiert pas l’obtention du marché dans la mesure où la tentative suffit à constituer l’infraction*.

Il peut arriver que l'avantage puisse consister dans le fait de disposer d'une information particulière sur la consistance ou le coût d'une opération projetée. La connaissance d'un devis estimatif établi par les services de l'administration peut permettre à un candidat de formuler une offre à un prix relativement proche de celui fixé par ladite administration ou conduire à une diffusion des prix (CA Paris, 23 mars 2000 : JurisData n° 2000-117773).

Ainsi, certaines entreprises attributaires de travaux ont bénéficié de renseignements privilégiés**, en raison de la fourniture par le maître d'œuvre des estimations quantitatives détaillées par lot (TGI Draguignan, 22 déc. 1997. – Circ. crim. 98.4/G3, 2 juill. 1998) ou d'un devis chiffré estimatif des travaux établi par la direction départementale de l'Équipement***.

Pas de règles de forme ou de procédure / Principe d'égalité entre les candidats

S’il n’y a pas de règle de forme ou de procédure en matière de procédure sans publicité ni concurrence préalables, les principes généraux du droit de la commande publique doivent être respectés et notamment celui d'égalité de traitement des candidats.

Le pouvoir adjudicateur doit veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée par la participation d’un opérateur économique disposant d’informations susceptibles de l’avantager.

Dès lors qu’une société dispose d’informations susceptibles de l’avantager par rapport aux autres candidats, le délit de favoritisme peut être constitué.

En effet, même dans le cadre d'une procédure sans publicité ni mise en concurrence préalables, le pouvoir adjudicateur doit veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée par la participation d’un opérateur économique disposant d’informations susceptibles de l’avantager.

En cas de doute sur l’existence d’un délit de favoritisme et pour connaître vos droits et les faire valoir, il est conseillé à chaque intéressé de se rapprocher de notre cabinet pour qu’il vous apporte une expertise personnalisée.

 

 

* TGI Strasbourg, 19 janv. 1996, n° 96/0338, M. H. : Marchés publ. 1995-1996, n° 4, p. 18, note G. Pancrazi. – CA Rennes, 12 nov. 1996, n° 1720/96 : non publié. – A. Touzi-Luond, La responsabilité pénale des agents publics à raison des manquements commis dans le cadre des opérations de marchés publics ou de délégations de service public : Courrier jur. fin. et ind. févr. 1998, n° 84, p. 3 ; Marchés publ. 1998, n° 2, p. 12. – TGI Quimper, 25 juill. 1995, n° 1964/95 : Rev. conc. consom. nov.-déc. 1995, n° 88, p. 97, note Riberolles.

** Cass. crim., 30 juin 2004, n° 03-86.109. – Cass. crim., 28 janv. 2004 : JurisData n° 2004-022445 ; Bull. crim. 2004, n° 23 ; Dr. pén. 2004, comm. 92, note M. Véron ; JCP G 2004, II, 10084, note F. Linditch. – Cass. crim., 23 mai 2007 : JurisData n° 2007-039877.

*** TGI Charleville-Mézières, 14 févr. 1996, n° 317/96. – Circ. crim. 98.4/G3, 2 juill. 1998 – Cass. crim., 12 juin 2003 : JurisData n° 2003-020110.