Les frontières de l’exception de quasi-régie

Droit de la commande Publique

Certains contrats conclus entre entités appartenant au secteur public, tels que des contrats de quasi-régie, sont exclus du champ d’application du droit de la commande publique.

Reconnaissance des contrats de quasi-régie

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu l’existence des contrats de quasi-régie ([1]), qualifiés également de contrats in house.

La mise en œuvre d’obligations de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion de contrats entre un pouvoir adjudicateur et une entité qui, bien que dotée de la personnalité morale, constitue le prolongement administratif de celui-ci, n’est pas nécessaire.

De la même manière, les contrats par lesquelles plusieurs entités publiques réalisent en commun une activité d’intérêt général dans un but exclusif d’intérêt public et sans favoriser un opérateur économique agissant sur le marché peuvent également être conclus sans être précédés d’une publicité et d’une mise en concurrence.

Application pour les marchés publics et les concessions

A la suite des directives de 2014, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession cristallisent la jurisprudence européenne en précisant le régime applicable aux contrats passés entre entités du secteur public. Le régime étant identique dans les deux ordonnances, les exclusions de quasi-régie s’appliquent aussi bien pour les marchés publics que pour les concessions.

Ces deux ordonnances posent trois conditions cumulatives à la reconnaissance d’une relation de quasi-régie :

  1. Le contrôle exercé par le ou les pouvoirs adjudicateurs ([2]) sur le ou leur cocontractant doit être comparable à celui qu’ils exercent respectivement sur leurs propres services ;
  2. L’activité du cocontractant doit être principalement consacrée à ce(s) pouvoir(s) adjudicateur(s) ;
  3. La personne morale contrôlée ne comporte, en principe, pas de participation directe de capitaux privés.

Par ailleurs, bien que les ordonnances marchés publics et concessions aient supprimé la condition tenant à ce que le cocontractant du pouvoir adjudicateur, en situation de quasi-régie, doive appliquer pour ses propres contrats les règles de passation issues du droit de la commande publique, il convient de préciser que le respect de ces règles par l’organisme contrôlé s’impose si cette entité répond elle-même aux critères de qualification de pouvoir adjudicateur.

  • Le pouvoir adjudicateur doit exercer sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services

A titre liminaire, le contrat de quasi-régie doit être distingué du contrat dit de « coopération public-public » par lequel des entités publiques instituent entre elles une coopération afin d’assurer en commun des missions de service public dont elles ont la charge, sans qu’existe de contrôle de l’une sur l’autre ([3]

En outre, les ordonnances du 23 juillet 2015 et du 29 janvier 2016 définissent la notion de contrôle analogue. Ainsi, « un pouvoir adjudicateur est réputé exercer sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, s’il exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée » ([4]).

Cette définition peut également être complétée à l’aune de la jurisprudence de la CJUE. Cette dernière a notamment jugé que « la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire tend à indiquer, sans être décisive, que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services » ([5]).

A cet égard, si la détention du capital d’une personne morale par un pouvoir adjudicateur à hauteur de 100% constitue un indice du contrôle analogue, cela ne s’avère toutefois pas suffisant.

L’existence d’un contrôle analogue doit, en outre, s'inscrire dans un lien de dépendance institutionnel très fort. Il n’existe pas de critère unique déterminant. Le seul contrôle de tutelle ne suffit pas ([6]).

Cette dépendance doit être caractérisée par plusieurs éléments. Le pouvoir adjudicateur doit avoir une influence déterminante sur toutes ses décisions essentielles et ses objectifs stratégiques, en désignant, par exemple, plus de la moitié des membres de l'organe d'administration ou de direction de l'entreprise ou en nommant son dirigeant. Cela signifie, en fait, que l’entité ne doit disposer d’aucune autonomie dans son fonctionnement et dans son activité et ne doit pas pouvoir déterminer, notamment, les prestations qu’elle doit exécuter, leur contenu, et leur tarif ([7]) Le contrôle fonctionnel et structurel ([8]) doit être effectif et non simplement formel ([9]).

  • Le cocontractant du pouvoir adjudicateur doit réaliser plus de 80% de son activité pour ce dernier

Le seul constat d’une dépendance à l’égard du pouvoir adjudicateur ne suffit pas à qualifier les prestations faisant l’objet du contrat de quasi-régie. En effet, ce n’est que lorsque le rapport organique qui unit le pouvoir adjudicateur à son cocontractant se double d’une quasi-exclusivité de la fourniture des prestations au profit du premier, que le cocontractant est considéré comme totalement lié à celui-ci et que les prestations peuvent être comparées à celles dont disposeraient l’acheteur en recourant à ses propres ressources internes.

Le respect de la seconde condition posée par les ordonnances précitées ainsi que par la jurisprudence implique donc que le cocontractant du pouvoir adjudicateur soit un opérateur « dédié » aux besoins de ce dernier. Il doit réaliser l’essentiel de son activité avec ou pour le compte de la personne ou des personnes qui le contrôlent.

La condition est considérée comme satisfaite dès lors que l’entité concernée exerce plus de 80% de son activité dans le cadre de l’exécution des tâches confiées par le ou les pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent. Par conséquent, cette entité peut exercer jusqu’à 20% de ses activités sur le marché concurrentiel.

Si l’entité consacre une partie de son activité à des tiers, ces activités annexes doivent ainsi revêtir un caractère marginal ([10]). Dans le cas contraire, elle retrouverait une liberté d’action contraire à l’idée de prolongement administratif de la personne publique. Seule une « diversification purement accessoire » peut être admise ([11]). 

  • Une participation privée au capital exclut, en principe, toute relation de quasi-régie.

Les contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs avec des sociétés dont le capital est détenu au moins pour partie par des actionnaires privés sont, en principe, exclus de la qualification de contrats de quasi-régie et entrent dans le champ d’application du droit de la commande publique ([12]).

Les ordonnances marchés publics et concessions ont toutefois introduit un assouplissement important s’agissant de l’interdiction de participations directes de capitaux privés au sein de l’entité contrôlée.

Désormais, les participations de capitaux privés pourront être admises dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont réunies :

  • Les capitaux privés ne doivent conférer aucune capacité de contrôle ou de blocage des décisions de l’entité ; 
  • Ces formes de participations de capitaux privés sont requises par une législation nationale ; 
  • L’actionnaire privé ne peut exercer une influence sur l’entité contrôlée.

La nouvelle législation permet donc une atténuation à l’interdiction jurisprudentielle de participation directe de capitaux privés dans le capital de l’entité contrôlée.

Enfin, il convient d’indiquer que les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des contrats de quasi-régie avec leur société publique locale (SPL) ou leur société publique locale d’aménagement (SPLA) ([13]).

Créées respectivement par les lois n° 2010-559 du 28 mai 2010 et n° 2066-872 du 13 juillet 2006, les SPL et les SPLA permettent aux collectivités territoriales et à leurs groupements de contracter directement, sans publicité ni mise en concurrence, sous réserve que ces sociétés soient en situation de prestataire « intégré » ([14]). Cela suppose que les critères de la quasi-régie précédemment énoncés doivent être remplis tout au long de la vie des contrats concernés afin que la relation contractuelle puisse être qualifiée de « quasi-régie ».


[1] CJUE, 18 novembre 1999, Teckal, C-107/98, point 50.

[2] Les dispositions de l’article 17 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 sont également applicables aux entités adjudicatrices.

[3] CJUE, 9 juin 2009, Commission c/ Allemagne, C-480/06, points 34 et 36.

[4] 5ème alinéa des articles 17-I de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et 16-I de l’ordonnance du 29 janvier 2016.

[5] CJUE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA, C-340/04, point 37 ; CJUE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant SA c/Cne d’Uccle, C-324/07 point 54.

[6] CE, 27 juillet 2001, CAMIF, n°218067.

[7] CJUE, 19 avril 2007, Asociacion Profesional de Empresas Forestales (ASEMFO), C-295/05, point 60.

[8] 1 CJUE, 17 juillet 2008, Commission c/ Italie, C-371/05, point 26.

[9] CJUE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant SA c/Cne d’Uccle, C-324/07 point 46 ; CE, 6 novembre 2013, Commune de Marsannayla-Côte, n°365079.

[10] CJUE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA, C-340/04, cons. 63.

[11] CE Sect., 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n°284736.

[12] CJUE, 21 juillet 2005, CONAME, C-231/03, point 26 ; CJUE, 6 avril 2006, ANAV, C-410/04, point 30.

[13] Circulaire du 29 avril 2011 relative au régime juridique des sociétés publiques locales (SPL) et des sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA). 36 Loi n°2010-559 du 28 mai.

[14] CE, 6 novembre 2013, Commune de Marsannay-la-Côte, n°365079 : la création d’une société sous la forme d’une SPL ou d’une SPLA n’emporte pas nécessairement le respect des critères de la quasi-régie.